Une matinée pluvieuse, comme dans mon coeur

La jeune fille s'avança le long des dalles mouillées, ses chaussures aux légers talons claquant et raisonnant dans le silence parfait qui la faisait frissonner. Une bruine légère tombait sur son visage et humidifiait sa belle chevelure brune. Elle passa une main dans ses cheveux et ferma les yeux un instant, respirant l'air autour d'elle, s'imprégnant de la ville endormie qui était sienne depuis qu'elle avait 3 ans. Elle s'accroupit et passa une main dans le poil mouillé de son chien qui jappa avec enthousiasme. Elle eut un sourire et dévoila ses dents d'une blancheur immaculée, caressant le poil long de son compagnon tout en s'attardant sur sa tête en grattant autour des oreilles, ce qui arrachait au canidé des aboiement joyeux. Elle se releva et regarda le clocher avec un brin de nostalgie. Elle se souvenait de ce qui s'était passé il y a quelques années, à quelques mètres de cette place. Elle pouvait presque encore entendre le crissement des pneus sur la route mouillés, les hurlements de détresse qu'elle avait poussé et la douleur, le grand vide qui l'avait empli toute entière jusqu'à s'emparer de son esprit et l'envelopper d'une brume noire et opaque qui empêchait ses sentiments de filtrer à travers ce mur de tristesse.
Une tête poilue se frotta sur son jean et elle revint à la réalité, s'échappant des morbides pensées auxquelles elle commençait à s'abandonner. Elle commença à chantonner tout en s'asseyant sur le pas d'une porte, regardant son chien courir sur la place comme un fou. Seul ombre de gaieté qu'elle entrevoyait aujourd'hui. Elle sourit et ferma les yeux tout en s'appuyant contre la porte close derrière elle, somnolant légèrement pendant quelques minutes, portée par l'ambiance endormie de la ville. Elle entendit des pas plus lourds que la course de Lou, ouvrant les yeux elle vit quelqu'un qui s'avançait.

Alec frissonna et referma sa veste jusqu’à son cou. Le vent lui taquinait la nuque de façon désagréable. Cela faisait plusieurs jours déjà qu’il songeait à subtiliser une écharpe, quelle qu’elle puisse être, pourvu qu’elle le protège un peu mieux du froid que ne le faisaient ses vêtements d’alors. Il était assis, dos au mur d’un hôtel plutôt prestigieux, juste à côté des marches immenses qui menaient à l’entrée dudit hôtel. L’ombre protectrice de l’escalier auquel il s’appuyait masquait ses affaires de la vue des quelques curieux. Un paquet de feuilles vierges sur les genoux, il mordillait son crayon, en quête d’une inspiration qu’il ne trouvait pas. Chaque fois qu’un passant s’approchait un peu trop, il s’interrompait subitement et posait son crayon au sol, de peur que la personne en question ne se demande pourquoi un crayon planait dans les airs, loin de son propriétaire.

L’invisibilité avait ses inconvénients, comme ses avantages, et Alec ne s’en plaignait pas… Il poussa un petit soupir, en panne d’inspiration, et reposa ses affaires de dessin à côté de lui, pour observer la Grande Place. Il aimait bien cet endroit. C’était grand, calme… mais on y croisait toutes sortes de gens, parfois étranges, parfois sympathiques. C’était aussi l’endroit où se passaient le plus de choses étranges. C’était là que, la plupart du temps, il venait en aide aux gens. C’était là aussi, on le lui avait dit, que le maire s’était fait tué. L’idée était difficile à comprendre pour un enfant, tout comme la gravité de l’acte. Il s’en voulait seulement de ne pas avoir pu aider les Chimères ce jour-là.

Alors qu’il laissait son regard vert fluo balayer la place, ses yeux furent attirés par une jeune fille et l’animal qui l’accompagnait. Un chien. Alec sourit. Il aimait bien les animaux… parce que ceux-ci avaient tendance à déceler mieux que quiconque sa présence. Et ils étaient affectueux. Pour la plupart. Celui-ci avait l’air bien gai… en comparaison de sa jeune maîtresse. L’enfant observa plus attentivement la jeune fille, et la trouva plutôt jolie. Assez pour tenter de la dessiner. Il était trop loin, cependant.

Saisissant ses affaires, il longea discrètement les murs pour ne pas que l’on remarque le mouvement de son sac porté par une force invisible, et se retrouva à quelques pas de la jeune fille, qui s’était mise à somnoler. Elle était si paisible, dans son demi-sommeil. Alec sourit, et s’installa le plus discrètement possible à un petit mètre d’elle. Bien sûr, il n’oserait jamais lui adresser la parole, visible ou invisible. Mais il prit doucement un stylo, et commença quelques croquis, dont il fut assez satisfait pour déposer ses dessins juste aux pieds de la demoiselle, oubliant momentanément la prudence. Peut-être serait-elle effrayée par cela. Il hésita à s’éloigner.

Elle semblait sans défense. Pourquoi était-elle toute seule ? Ce n’était pas prudent, non ? Il décida de rester encore un peu, histoire de veiller sur elle… L’ennui c’était que son chien avait un odorat plus développé que les humains, forcément. Alec n’en était pas sûr, mais il avait l’impression que l’animal avait détecté sa présence… Il en fut d’autant plus certain lorsque le chien s’approcha en jappant jusqu’à lui, pour le pousser doucement du museau, réclamant probablement de jouer avec lui.

Paniqué, Alec secoua la tête en essayant de murmurer le plus bas possible :

Non, non… J’peux pas jouer. Chut, chuuuut…

L’enfant jeta un regard à la jeune demoiselle, pour vérifier si elle somnolait toujours.

Stella sursauta, manquant de tomber en arrière. Elle se demanda comment son chien avait pu parler, surtout pour lui dire qu'il ne pouvait pas jouer... Elle regarda autour d'elle, un sac abandonné trainait à quelque mètres d'elle. Elle fronça les sourcils. Elle avait de très bon yeux et était sure qu'il ne se trouvait pas à cet endroit l'instant d'avant. Plus curieux, une feuille était posée juste à côté d'elle. Surprise, elle prit la feuille, lissant en même temps une mèche de sa chevelure cuivrée. La surprise faillit lui faire lacher le dessin, qui se serait envolé sous la pluie et le vent. C'était elle ?
Elle regarda le sac, puis son chien, qui venait de parler à ce qu'il lui semblait. Elle s'approcha et darda sur le canidé son regard chocolat :
- Lou, c'est toi qui m'a parlé ?
Le jappement innocent du chien acheva son déroutement, elle regarda autour d'elle, cherchant à savoir qui avait pu parler puis disparaître en quelques secondes. C'était probablement la même personne qui avait laissé son sac et fait le dessin. Elle fronça un sourcils tandis qu'elle haussait le deuxième, s'appuyant à nouveau contre le mur qui s'effrita légerement au contact de sa peau. Elle ferma les yeux et sentit le museau de Lou contre sa jambe. Elle le gratta machinalement et commença à chanter
Où est-tu donc Enya
Porquoi je ne te vois pas
Ta présence me manque tant
Hier tu étais là pourtant
Si la mer emporte tout
Qu'elle ne laisse rien de nous
Pourquoi restre là à pleurer
Reviens moi s'il te plait...
Enya...

Pourtant nous y arrivions
Alors que nous le savions
Entre nous pas de mensonges
Tu m'avais dit dans un songe
Sache que dans ton coeur
Même si sombre son les heures
Il restera toujours un espoir
Pour ceux qui n'ont plus d'histoires...

Seule en haut de la digue
En regardant la rive
Je ne pense qu'a toi
Dans mon coeur tu es là
Si tu ne reviens pas
Ma bouche ne souriras
Tu es la femme qui a construit ma vie
Ne soit pas celle qui la détruit

Pourtant nous y arrivions
Alors que nous le savions
Entre nous pas de mensonges
Tu m'avais dit dans un songe
Sache que dans ton coeur
Même si sombre son les heures
Il restera toujours un espoir
Pour ceux qui n'ont plus d'histoires...

Elle s'arrêta enfin, essuyant une larme qui avait commençé à pointer sur son joli visage. Elle lui manquait tant... Elle regarda le papier, Enya dessinait si bien... Mais c'était avant, avant qu'une maladie l'emporte, que cette maladie tue sa soeur ! Une maladie attrapée alors qu'elle se baignait dans la mer...
Elle entendit un aboyement contrarié de son chien puis un grognement. Surprise elle ouvrit les yeux. Il regardait à à peine un mètre d'elle, mais dans le vide... Elle se leva :
- Lou ! Mais qu'est-ce que tu fais ?! reviens !
SOn chien prit son élan et sauta en l'air, raterissant sur le sol... mais en étant sur-élevé de quelques centimètres. Stella entendit un cri de surprise, elle s'approcha. Une personne invisible ? Mais ce n'était pas possible ! Elle n'avait jamais cru ces articles de journaux qui racontaient d'étranges évenements...

Alec aurait dû être plus prudent. Oui, sans doute… Peut-être que s’il avait été plus âgé, plus à même de comprendre l’importance de laisser les habitants dans l’ignorance de ce qu’il se produisait dans leur ville, il ne se serait pas autant approché. Il n’aurait pas pris autant de risques de dévoiler ce qu’il était. Mais voilà, il n’était qu’un enfant… Et si jusqu’à présent il se contentait d’aider les gens dans leurs petits soucis quotidien, en restant le plus discret possible, il n’en restait pas moins seul qu’auparavant. Cette jeune fille avait attisé sa curiosité purement enfantine… Et son chien plus encore. Il aimait vraiment beaucoup les animaux. Enfin… sauf quand ceux-ci menaçaient de trahir son secret.

Mais était-ce vraiment un secret ? Alec ne savait pas vraiment. Tout ce qu’il eut le temps de penser, c’était qu’il avait parlé trop fort. Il sursauta en même temps que la demoiselle, et se figea, tentant d’ignorer les aboiements du chien, qui semblait avoir repéré sa présence. Son odeur, sans doute. Alec tenta de ne même plus respirer, et fixa son regard vert fluo en direction de la jeune fille, qui regardait dans sa direction… sans le voir, bien sûr. Comme à chaque fois, cette constatation lui fit naître un petit pincement au cœur. Elle ne le voyait pas.

En revanche, elle avait l’air observateur… Alec se mordit la lèvre. Elle avait remarqué son sac. Que devait-il faire, maintenant ? Appréhendant la suite, il n’osa pas bouger pour l’instant. Peut-être allait-elle croire qu’elle avait rêvé. Le cœur battant, il la regarda prendre les dessins qu’il avait laissés à ses pieds, ses joues rosissant sous une timidité qui lui faisait regretter son geste. Peut-être n’allait-elle pas apprécier qu’on la dessine comme ça, sans lui demander la permission…

Alec retint un petit soupir de soulagement lorsque l’animal, qui s’appelait apparemment Lou – il trouva d’ailleurs le prénom très joli – s’éloigna enfin de lui pour retourner taquiner sa maîtresse. Ouf… peut-être allait-il vraiment passer inaperçu, après tout. Oui… En observant l’air perplexe de la demoiselle, il supposa qu’elle avait laissé tomber ses recherches. D’ailleurs, elle se mit à chanter, ce qui le surprit, et lui fit redresser la tête jusqu’à elle… Intrigué, il écouta attentivement les paroles de la chanson, comme si cela pouvait l’aider à percer un mystère qui lui échappait. Qui était Enya ?… Pourquoi la jeune fille était-elle si triste ? Il n’aimait pas voir les gens pleurer, aussi sentit-il une larme perler au coin de son œil en voyant celle de l’inconnue glisser sur sa joue.

Il aurait voulu lui dire quelque chose de réconfortant, mais d’une part, il n’osa pas… et d’autre part, il ne le pouvait pas sans se trahir. Sauf que quelque chose ne se passa pas comme prévu… Le chien avait décidé de revenir à l’attaque. Il jappait dans sa direction. Alec fronça les sourcils et hésita entre se redresser et partir en courant, ou bien seulement rester immobile jusqu’à ce que le chien se calme… Aucune de ces solutions ne fut possibles, pour la simple et bonne raison que l’animal décida finalement de se jeter sur lui.

Sous la surprise et un début de panique, le petit garçon lâcha un cri instinctif, et mis ses bras devant son visage, piètre protection pour le cas où le chien souhaitait vraiment l’agresser. Il avait peur, probablement autant de l’animal que de la jeune fille qui l’avait certainement entendu. Le sang d’Alec se glaça dans ses veines, mais le chien voulait seulement jouer, car il se contenta d’atterrir à moitié sur lui pour le pousser du museau. Apparemment, un jouet invisible, c’était plutôt amusant, pour un chien.

Alec n’était pas du même avis. Il se débattait doucement, sans plus se soucier désormais de faire du bruit. Ses pieds qui s’agitaient faisaient naître un remous de poussière étrange à la surface du sol, pour les yeux attentifs de la demoiselle.

- Mais arrête, oh ! Je… Je peux pas jouer avec toi ! V… va voir ta maîtresse ! Chut, chut !

Evidemment, le chien était bien en peine de comprendre les supplications du garçon… qui se rendit compte que l’inconnue s’était rapprochée de l’endroit où il se trouvait. Facile, puisque le chien était presque monté sur lui. Alec inspira profondément, tentant de repousser encore une fois le museau du chien, éperdu, puis redressa la tête vers la jeune fille pour murmurer :

- Ne vous inquiétez pas, je ne veux pas vous faire du mal. Ni à vous, ni à votre chien. Pardon… Mais s’il vous plaît… Dîtes-lui de s’éloigner… On va me voir…

Non, pas exactement… Puisqu’il était invisible. Mais Alec savait ce qu’il voulait dire. Attirer l’attention sur lui au beau milieu de la Grande Place… devait faire partie des pires cauchemars qu’il ait jamais inventé. Passablement inquiet, le cœur battant la chamade, il ajouta très vite, sans prendre le temps de réfléchir :

- Je ne suis pas un méchant, je vous le jure. Je ne voulais pas vous déranger. N’ayez pas peur, s’il vous plaît… Et ne dîtes rien… Je ne suis rien du tout.

Sa voix baissa progressivement au fur de ses paroles, jusqu’à n’être plus qu’un murmure, lorsqu’il conclut, le cœur gros :

- Rien. Juste un rêve.

Stella traversa la place en quelques secondes, son corps de liane lui permettant de courir malgré les talons hauts qui feraient tomber la plupart des personnes. Appelant d'abord son chien sur un ton proche de l'énervement, très sec. Il ne fit même pas attention à elle. Furieuse, elle l'attrapa par le collier sans se soucier de son jappement plaintif et sortit une laisse de sa poche, plaquant le museau de son chien au sol tandis qu'elle lui mettait la boucle de fer sur le collier. Elle serra la laisse au maximum pour garder son chien contre elle.
Il était couché, aboyant faiblement. Il s'en voulait mais elle ne pouvait se permettre de le caresser à cet instant car il était encore trop jeune pour obéir si elle ne le dressait pas. Chose qui la blessait quand elle devait employer la force pour le ramener à l'ordre.

Elle entendit une voix s'élever, claire et pur. La voix d'un enfant, une voix effrayée et apeurée, a cause du chien surement. Ce qui la troublait, c'était que l'endroit d'où la voix partait était vide... Elle avait bien vu son chien "flotter" dans l'air, mais n'avait pas voulu le croire tout de suite. Une personne, invisible ?
La voix lui fit comprendre qu'elle ne lui voulait aucun mal. Une voix si cristalline qu'elle ne pouvait mentir. Elle lui fit confiance, même sans pouvoir voir son visage. Le garçon devait avoir à peu près le même âge qu'Enya le jour de sa mort. Quand son coeur si pur s'était arrêté de battre et que son visage au si jolie couleurs s'était terni à jamais.

Elle sourit et s'accroupi, touchant ce qu'elle croyait être le garçon. Elle pouvait en effet sentir une tête, les cheveux un peu en bataille qu'elle s'amusa à caresser un instant. Il était invisible, pas immatériel.
Elle ne se controla pas, la voix du jeune garçon était emplie de douleur, ce qu'elle détestait. D'un naturel souriant, avant en tout cas, elle faisait tout juste pour le sourire de quelqu'un.
Elle le rapprocha d'elle et le serra dans ses bras.
tanpis si il n'était pas visible, tanpis si elle rêvait, elle voulait consoler cet enfant. Elle lui dit de la voix la plus douce du monde :
- Un rêve ? Tu es là pourtant... Je ne crois pas que tu sois un rêve.
Elle croyait maintenant ces histoires mainte et mainte fois contée dans les articles de journaux, ces histoires pour lequel tout le monde se passionnait mais qu'elle ne regardait jusque là que d'un oeil absent. Ce ne pouvait être des fantômes car les fantômes ne sont pas matériel. C'était quelque chose d'autre, de mieux.

Alec lâcha un faible soupir rassuré lorsque la jeune fille accourut pour ordonner à son chien de s’éloigner… ce qu’il ne fit pas immédiatement, d’ailleurs, mais elle utilisa la manière forte, et très vite, l’animal se retrouva couché au pied de sa maîtresse, avec une laisse. Même s’il jappait encore dans sa direction, l’enfant était soulagé. Il inspira profondément. Il n’était déjà pas bien habitué à ce qu’on le remarque, auparavant… alors être le sujet d’autant d’exubérance, alors qu’il était invisible, c’était… déroutant. Ce qui l’était encore plus, c’était qu’il venait de trahir son secret. Avec l’aide de Lou, certes… mais tout de même.

Peut-être que cela le mettrait en danger. Peut-être que la jeune fille aurait peur, et crierait à l’aide, malgré ce qu’il avait essayé de lui dire. Peut-être qu’elle ne le croirait pas… parce qu’elle ne pouvait pas le voir. Tremblant, Alec se redressa prudemment, hésitant à ajouter quelque chose. S’il gardait le silence à présent, peut-être cet incident serait-il oublié ? Il avait du mal à réfléchir convenablement. Ses pensées s’entrechoquaient, et ses mains tremblaient. Il esquissa un mouvement instinctif de recul quand la demoiselle s’accroupit plus ou moins à l’endroit où elle devinait qu’il y avait quelqu’un.

Pourtant, il ne prit pas la fuite… Crispé, le corps tendu comme la corde d’un arc, il se contenta de retenir sa respiration, lèvres serrées. Il attendait… quoi exactement ? Il ne savait pas très bien, mais son souffle était suspendu aux gestes de la jeune fille. Il n’avait pas envie de s’enfuir. Il aurait pu, après tout… En courant très vite, il aurait quitté la grande place sans qu’elle le sache… Et elle aurait cru avoir vraiment rêvé, comme il le lui avait dit.

Oui mais voilà. Elle semblait si douce, si gentille… Et Alec était terriblement seul. Peut-être voudrait-elle bien être son amie… Le petit garçon se mordit la lèvre. Il n’avait pas l’habitude de ce genre de pensée. Avait-il déjà eu un ami ? Il se mit à sourire doucement, tandis que l’inconnue touchait son visage en tendant vers lui une main aveugle. Elle effleura ses cheveux, et il commença presque à trouver l’étrange jeu… amusant. Comme si elle essayait de deviner à quoi il pouvait bien ressembler, rien qu’en frôlant ses mèches rebelles.

Et puis il se passa quelque chose qui le prit de court. Elle le serra dans ses bras, en une étreinte simple et chaleureuse qui le laissa stupéfait. Il ne se débattit pas, ni ne chercha à s’éloigner. Il était trop ébahi pour faire un geste. Elle ne pouvait pas le voir… et pourtant, elle avait eu cet étrange geste d’affection à son égard. Il se sentait si seul, soudainement… Sans bien réfléchir, Alec enfouit son visage dans les vêtements de cette inconnue qui lui offrait de la douceur de façon si inattendue. Il oscillait entre les larmes et le soulagement, lorsqu’il murmura en réponse à ses paroles :

- Merci… C’est… c’est gentil…

Il laissa passer un long moment de silence durant lequel il n’osa pas bouger, fermant les yeux contre elle, comme pour se laisser aller, alors même qu’il luttait contre sa timidité qui lui soufflait de s’éloigner rapidement. Quelque peu étouffée par l’étreinte, sa petite voix ajouta simplement :

- Je m’appelle Alec.

Il y eut une pause pleine d’hésitation dans le vide que Stella serrait entre ses bras, avant que la voix ne demande, un peu vacillante :

- Et vous, comment vous vous appelez ? Je… vous avez aimé mes dessins ?

Les questions n’avaient aucun rapport les unes avec les autres, mais c’était toujours ainsi… Alec avait bien du mal à parler convenablement, ou à trouver un rapport logique à ce qu’il racontait. Sa bouche traduisait simplement ce qu’il se passait dans sa tête. Et pour l’heure, une idée de prudence était en train de germer. Doucement, il s’éloigna de la jeune fille pour la regarder dans les yeux, quand bien même elle ne le saurait pas, puis il observa autour d’eux :

- Il ne faut pas qu’on nous voit, il faut faire attention… Les gens… Ils sont pas tous gentils comme vous, ils comprendraient pas. Vous leur direz rien, hein ?

Il y avait une nuance de panique, cette fois-ci, dans la voix de l’enfant. De panique et de supplique.

Elle ne savait pas quelle conséquence aurait son geste, si elle n'allait rencontrer qu'un vide froid, si la personne avait pris la fuite ou n'avait tout simplement pas existé.
Mais elle rencontra le garçon et sentit bientôt qu'il se rassurait dans ses bras. Elle put même sentir son débardeur mouillé par une larme invisible, ce qui la surprit au début.
Il lui dit son nom puis un silence court s'installa entre eux deux, seul les quelques jappements impatient de Lou venait troubler le silence de mort qui régnait sur la place, entre ces deux personnes qui ne se connaissait pas.
Elle ne pouvait pas voir son physique mais cela ne lui importait pas, ce qui lui importait était qu'il avait eu besoin d'aide, d'une présence et qu'elle avait voulut l'être, sans réflechir aux conséquences.
Il lui demanda son nom et elle dit d'une voix douce tandis qu'un sourire pointait sur ses lèvres :
- Je m'appelle Stella, je suis heureuse de faire ta connaissance Alec. Ton dessin est magnifique !

Elle jeta un coup d'oeil vers la porte à quelques mètres où le dessin était posé, elle fut soulagée de voir qu'il n'était pas mouillé... Contrairement à elle et surement au jeune garçon.
Car la pluie gelée l'avait trempée, ses cheveux bouclaient dans le bas de son dos et gouttaient le long de ses reins. Elle frissonna quand une goutte lui parcourut le creux du dos. Elle avait froid mais c'était surement aussi le cas de l'enfant. Elle lui prit la main, notant au passage qu'elle était aussi froide que la glace et alla prendre le sac du garçon, mettant dedans le dessin.
Elle lui sourit et lui dit :
- Viens chez moi, il fera plus chaud qu'ici. Et là-bas tu pourra porter quelque chose sans te soucier qu'on te voit !

Elle s'accroupit et lui murmura tendrement à l'oreille :
- Ne t'en fais pas, je ne dirais jamais rien. Ce sera un secret bien gardé !

Elle siffla son chien qui cette fois, avait retenu la leçon et vint à son pied en obéissant.

Alec eut un petit sourire que son interlocutrice ne pouvait pas voir, mais qui était plus instinctif qu’autre chose, en entendant le prénom de la demoiselle. Stella… Stella, c’était joli… Pourquoi est-ce que cela lui faisait penser aux étoiles ? Il n’arrivait plus à se souvenir dans quelle histoire ce prénom astral avait retenu son attention, mais il trouva qu’il lui allait à merveille. Elle avait les yeux qui brillaient. Et lui, était de moins en moins content de son dessin. Il n’avait pas réussi à reproduire aussi fidèlement qu’il l’aurait voulu la douceur des traits de son visage. Heureusement, Stella ne pouvait pas remarquer l’intensité du regard du petit garçon figé sur son visage… Alec cligna des yeux, se rendant compte que cela n’était pas poli.

Il sentit une légère rougeur naître sur ses joues, lorsqu’elle complimenta son dessin, et ne réussit qu’à articuler un petit « merci » à peine audible. Puis il frissonna, réalisant pour la première fois depuis cette étrange rencontre, qu’il s’était mis à pleuvoir. Les gouttes étaient gelées, et transperçaient sans mal sa veste en coton, qui ne lui avait jamais tenu très chaud, mais qui avait le mérite de disparaître en même temps que lui. Ses joues dégoulinaient d’eau de pluie, mais Alec ne s’en souciait guère. Il avait l’habitude. Il s’essuya le bout du nez d’un revers de main, tout en observant les longs cheveux de Stella, qui bouclaient harmonieusement sous l’effet de la pluie. C’était amusant. C’était joli. Il aurait voulu le dessiner.

Comme si, brusquement, l’étrangeté de la situation s’était évaporée de son esprit. Pour un petit garçon qui vit presque constamment dans un conte, une histoire qu’il s’invente… Ce n’était peut-être pas si bizarre que cela. Alec ne s’imaginait probablement pas comme sa présence invisible pouvait intriguer la jeune femme. Lui, s’y était habitué. Elle n’avait pas l’air effrayé, en tout cas, et cela le rassura.

Il sursauta cependant lorsqu’elle lui saisit la main. Celle de Stella était plutôt tiède. Le petit garçon avait toujours eu froid aux mains. Comme si son sang ne parvenait jamais jusqu’au bout de ses doigts. C’était pire, par mauvais temps. Et il faisait souvent mauvais temps, à Hellwood. Mais la jeune fille était douce et rassurante. Bien qu’Alec reste un petit animal sauvage à apprivoiser, il ne se débattit pas, et serra doucement ses petits doigts autour de ceux de Stella, la laissant saisir son sac et y ranger son dessin.

Il se mordilla la lèvre. Son sac et tout ce qu’il contenait étaient les seuls trésors qu’il possédait… Et pourtant, il la laissa faire. Il avait confiance. Elle semblait si gentille… Après tout, il n’était qu’un enfant. La prudence d’un adulte lui échappait. Il passa une main dans ses cheveux trempés, puis esquissa un petit sourire timide lorsqu’elle lui proposa d’aller au chaud. Là où personne ne risquait de découvrir son étrange capacité.

Sur le coup, il trouva l’idée absolument excellente.

- Oh merci, vous êtes vraiment gentille, et vous avez un très joli prénom ! Je… Atchaaaa…

Il fut interrompu par un joli éternuement qui fit sursauter un passant à quelques mètres de là. Il était plus que temps de filer, avant de définitivement attirer l’attention. Alec renifla, l’air désolé, et murmura, en se ratatinant légèrement sur lui-même :

- Pardon… Il pleut beaucoup dans cette ville, j’veux bien qu’on y aille au chaud… Mais… Mon Papa il m’a toujours dit qu’il fallait pas suivre les inconnus chez eux…

Il y eut un moment de long silence perplexe, durant lequel Alec essayait probablement de savoir qui de son père ou de Stella il fallait croire, pour l’heure. Son papa avait probablement raison. Mais il avait froid, Stella était très gentille, et il était Invisible. Personne ne pouvait lui faire du mal, non ? De toute façon, il avait entièrement confiance en elle. La naïveté d’un enfant est pleine de douceur et de bonne volonté.

Aussi finit-il par ajouter, en exerçant une pression de ses doigts sur la main de Stella :

- Mais vous êtes pas une inconnue, je sais comment vous vous appelez. Alors je veux bien… C’est par où ?

Conclusion ô combien logique, après tout. Il éternua une fois de plus, comme pour ponctuer ses paroles, puis jeta un regard au chien qui obéissait docilement, avant de murmurer, après un moment d’hésitation :

- Je l’aime beaucoup, votre chien. J’aurais bien aimé avoir un chien.

Stella fut attendrie par l'hésitation du garçon. Elle avait un peu peine pour lui, lui que personne ne pouvait voir, qui était transparant pour les autres. Il avait du en voir des gens passer en coup de vent près de lui, ne le voyant même pas, ne faisant pas plus attention à lui que si il était un coup de vent éphemère. Alors qu'il était là, présent bien qu'invisible et Stella était heureuse d'avoir eut conscience de son existence. Comment un enfant peut-il vivre seul, loin de tous et pourtant si près ? C'était tellement improbable qu'elle ne l'avait jamais imaginé...
Elle prit la laisse de Lou et le détacha. Le chien avait compris que l'enfant, bien qu'invisible, n'était pas une menace pour son maître et qu'il n'avait plus à l'attaquer sous peine de se retrouver le nez contre les dalles, la voix furieuse de se maîtresse raisonnant à ses oreilles.

Elle sourit à l'enfant et lui dit d'une voix joyeuse :
- Tu auras tout le temps de jouer avec lui chez moi ! Lui au moins il sait exactement où tu te trouves.

Il était vrai qu'elle même ne savait pas exactement où se tenait Alec, elle était plutôt habituée à ne pas voir l'apparence des gens, cherchant leur véritable personnalitée au plus profond de leur coeur. Mais cela pouvait être légèrement déroutant pour elle de ne pas savoir où se situait le garçon.
Le vent se leva et elle cru sentir la main du garçon trembler dans la sienne. Elle ne sut pas si c'était le vent ou autre mais se rendit compte qu'il avait peut être peur. Il devait être habituée à la solitude et cette jeune fille qui venait s'immisser dans son monde tranquille était peut être un sujet de peur et d'appréhension pour lui...
Elle s'accroupit et regarda là où elle croyait deviner la tête d'Alec :
- Ne t'en fais pas, je ne te ferais aucun mal ! Viens, c'est pas là.
Elle tourna à une rue, ignorant un passant matinal qui passait par là.
Elle le connaissait de vue, encore un ancien ami à son père, un fêtard plus interessé par les femmes et l'argent que par les valeurs morales.
C'est d'ailleurs ce qui avait poussé Stella à emménager très tôt dans un petit sutdio, bien loin de son père et de tout ces hommes qui lui ressemblaient. Mal rasé et ne faisant pas plus attention à leur habitat qu'a leur famille.

--> Elle ne rentra pas seule

» Perdue dans ses pensées (Libre)